Enfermement-voyageur. Immobile dans le wagon, voir glisser des choses immobiles. Qu'est-ce qui passe? Rien ne bouge au-dedans et au-dehors du train.
Immuable, le voyageur est casé, numéroté et contrôlé dans le damier du wagon, cette réalisation parfaite de l'utopie rationnelle. La surveillance et la nourriture y circulent de case en case : «Contrôle des billets»… «Sandwiches? Bière? Café?». Seuls les W.C. ouvrent une fuite dans le système clos. C'est le fantasme des amoureux, l'issue des malades, l'escapade des enfants ("pipi !"), – un coin d'irrationnel, comme l'étaient les amours et les égouts dans les Utopies de jadis. Mis à part ce lapsus abandonné aux excès, tout est quadrillé. Ne voyage qu'une cellule rationalisée. Une bulle du pouvoir panoptique et classificateur, un module de l'enfermement qui rend possible la production d'un ordre, une insularité close et autonome, voilà ce qui peut traverser l'espace et se rendre indépendant des enracinements locaux.
Michel de Certeau, L’invention du quotidien – 1. Arts de faire,
Éditions Gallimard, Folio Essais, 1990