Toujours en devenir, les nuages ont la complexité de l'âme; ils défilent devant les yeux des hommes mais ne sont jamais de la même forme ou de la même couleur. Les anciens expliquent aussi que chaque vague qui se forme sur la ligne d'horizon est un homme au tout début de sa vie. Chaque homme appartient symboliquement à une vague et chaque vague qui grossit représente le destin d'un homme : la vague peut rester petite ou grossir jusqu'à devenir immense et, obéissant au vent de l'océan, onduler jusqu'aux rivages de l'île pour ensuite s'y déployer jusqu'à se dissoudre ou alors mourir.
Syaman Rapongan, La mémoire des vagues,
Ed. Tigre de Papier, 2011
Ainsi – comme le faisait Marco Polo à sa bien-aimée, puis à l'ensemble des lecteurs du monde - est-ce en parlant à l'autre de soi, et non de lieux réels, que l'on est le plus à même, à la traversée des lieux géographiques que procède le bon voyageur, qui sait que chacun d'eux est porteur d'une partie de lui-même et peut lui ouvrir une voie vers les autres, s'il a la sagesse de ne pas s'y arrêter.
L'invention, dans chaque contexte de parole ou d'écriture, du lieu approprié sera alors d'autant plus crédible qu'elle sera portée par la vérité du sujet. C'est soi-même qu'il s'agit avant tout d'écouter, et c'est à l'écriture et la reconstruction de soi, par le biais d'une expérience universelle, vers son pays intérieur.
Pierre Bayard, Comment parler des lieux où l'on n'a pas été?
Ed. Minuit, 2012