Au kilomètre 4940 de la ligne du Transsibérien se trouve l'hiver. Cette petite ville située à 460 mètres d'altitude abrite environ 35'900 âmes selon le recensement du 1er mars 2011. Le 1er mars à Zima, c'est l'hiver. Le 22 novembre aussi. Et le 3 juin, le 12 septembre, le 18 janvier, le 25 août.
Il est important de préciser que, le long de cette voie de chemin de fer, l'hiver est presque à égale distance entre Moscou et Vladivostok. Même si l'on décide de partir en direction du sud en bifurquant par le Transmongolien ou le Transmandchourien, le train s'arrête de toute façon à la gare de l'hiver. On ne peut donc pas faire l'impasse et il n'y a pas de hasard à cela.
Non loin de là passe la rivière Oka. Gelée tout au long de l'année, on sera surpris de sa couleur brune. C'est un fait rare dans le monde, mais qui s'explique par la haute teneur de l'eau en minéraux et de par la terre qu'elle véhicule. L'hiver est donc abreuvé d'une eau riche de terre, qui permet de tanner les peaux de bêtes pour les rendre plus sombres. Au cours des siècles, cette eau a aussi été un désinfectant naturel lors des épidémies de choléra. Hélas, elle est de nos jours source de maladies déformantes telles que le goitre.
Le 8 juillet 1891 l'hiver a reçu la visite du Tsarévitch Nikolaï Alexandrovitch. En effet, de retour d'un voyage aux pays du levant, il avait souhaité saluer cette bourgade incarnant en quelque sorte la Sibérie toute entière. Pour marquer ce jour, la population locale, les Bouriates, lui firent présent d'un modèle réduit de yourte, moulée en argent massif. Le Tsarévitch Alexandrovitch, très touché, le signifia de divers claquements de langue et de talons. Les Bouriates n'avaient jamais vu cela.
Ensuite, ils emmenèrent ce prince à toque dans le village voisin, Burluksk, situé en aval de l'hiver. Ce hameau peut se féliciter d'une pratique ancestrale : la lecture de pétroglyphes vieux de mille ans, représentants des troupeaux de chevaux et de cavaliers. A la vue de ce spectacle, Nikolaïvitch Alexandreï versa une larme. En silence cette fois.
Au bout du compte, on peut dire que les Bouriates ont su recevoir cette sommité sans froideur mais avec la magnificence et la réserve qu'impose l'hiver. Homme de finesse et de charisme, le Tsarévitchissime l'a bien entendu compris et en fut fortement flatté.
Ce fait resta dans les esprits des peuplades sibériennes et même au delà de l'Oural. Il a d'ailleurs été gravé sur la façade principale de la gare de l'hiver, construite en 1898, la sentence magnanime suivante: "L'hiver est le haut-lieu de l'âme russe". Encore aujourd'hui, des souverains sans toque et autres princes sans royaume viennent manifester leur respect à l'hiver en venant hocher de la tête face à la rivière Oka, gelée, terreuse et toujours aussi sineuse.